Le luxe de seconde-main : comment la durabilité redéfinit le marché

Lorsque nous avons lancé les tendances Retail du luxe chez Cegid il y a quelques années, peu auraient pu prévoir l’essor fulgurant de la mode de seconde main. L’accent mis par le luxe sur la « nouveauté » et l’« exclusivité » semblait alors inébranlable. Pourtant, aujourd’hui, le marché de la seconde main, ou d’occasion, est en plein essor.

Selon Bain & Company, environ 49,3 milliards de dollars de produits de luxe de seconde main ont été vendus dans le monde en 2023, portés par la demande des consommateurs de la génération Z et un mouvement mondial en faveur de la durabilité. Des marques de luxe comme Gucci, Balenciaga et d’autres ont adopté cette tendance, soulignant la manière dont les priorités des consommateurs évoluent lentement mais sûrement pour s’aligner sur des valeurs éthiques et environnementales.

L’essor du luxe de seconde main

Le boom de la mode de luxe d’occasion est visible partout. Des plateformes comme Vestiaire Collective, The RealReal, ainsi que des grands magasins tels que John Lewis au Royaume-Uni, qui vend désormais des sacs à main de luxe de seconde main grâce à un partenariat avec la marque de revente Sign of the Times, redonnent vie à des articles de marques telles que Chanel, Chloé et Prada. Même des marques emblématiques telles que Gucci et Balenciaga lancent des programmes de « deadstock » et de revente pour répondre à la demande.

Cette tendance ne s’appuie pas uniquement sur des anecdotes ; elle est soutenue par des chiffres significatifs. On estime que les ventes de vêtements de seconde main représenteront un dixième du marché mondial de la mode d’ici 2025 : selon un rapport GlobalData, les ventes mondiales actuelles atteignent un chiffre impressionnant de 197 milliards de dollars. Par ailleurs, Bain & Company prévoit que le luxe (un segment traditionnellement axé sur l’exclusivité) pourrait voir jusqu’à 20 % de ses revenus provenir de la revente d’ici 2030.

Et cette tendance ne se limite pas aux vêtements. Prenons les accessoires : les bijoux vintage représentent désormais 5 % du marché mondial de la bijouterie, estimé entre 350 et 400 milliards de dollars. Le secteur des montres de luxe ressent également l’impact, les reventes représentant 30 % du marché – surpassant largement la croissance des ventes de montres neuves, selon le Boston Consulting Group. Posséder une Rolex, une Patek Philippe ou une Audemars Piguet d’occasion, via des plateformes en ligne comme Chrono24 qui connectent acheteurs et vendeurs, est désormais perçu comme une décision intelligente et responsable par des acheteurs jeunes et connectés, attirés à la fois par le savoir-faire des montres et leur potentiel d’investissement.

Les efforts de durabilité

Les dernières années ont montré des initiatives prometteuses de la part des acteurs du luxe, soulignant que des mesures réfléchies et axées sur la durabilité peuvent parfaitement s’aligner avec la croissance des entreprises.

L’engagement de Pandora à utiliser 100 % d’argent et d’or recyclés pour ses bijoux, après sa transition vers les diamants de laboratoire, s’est avéré fructueux. Depuis l’annonce de cette politique en 2023, les ventes à périmètre constant de Pandora ont augmenté de 11 % au premier trimestre 2024, tandis que le prix de ses actions a plus que doublé sur l’année.

De son côté, Stella McCartney, reconnue depuis longtemps pour son utilisation de matériaux innovants et respectueux de la nature, comme le fil à base d’algues et les alternatives au cuir à base de raisin, a enregistré une hausse significative de ses revenus de 23 % en 2022.

Par ailleurs, Barbour a élargi ses services de réparation avec son initiative « Quilt for Life », prolongeant la durée de vie des vestes matelassées dans le monde entier pour réduire les déchets. Chanel, qui vise la neutralité carbone d’ici 2040, met en œuvre l’utilisation de 100 % d’énergie renouvelable dans ses boutiques, bureaux et usines, tout en collaborant avec l’Université de Cambridge pour former ses employés à la durabilité. Prada Group, quant à lui, continue d’élargir son programme SEA BEYOND en partenariat avec l’Unesco, en ajoutant de nouveaux projets de recherche sur les glaciers et les coraux, en parallèle de sa campagne de nylon recyclé avec National Geographic.

Comme toujours, ce sont les consommateurs de luxe eux-mêmes qui impulsent ce changement. Selon le rapport 2023 de RetailX sur le secteur du luxe en Europe, plus de la moitié (51 %) des acheteurs de luxe sont prêts à payer jusqu’à 10 % de plus pour des produits de luxe respectueux de l’environnement. Par ailleurs, 22 % des consommateurs fortunés américains interrogés dans le rapport MillionaireVue de Savanta en 2023 ont boycotté une marque en raison de pratiques éthiques et durables insuffisantes.

Et après?

Le calendrier de 2025 se remplit déjà d’événements clés axés sur le luxe et la durabilité. Le Global Fashion Summit : Copenhagen Edition réunira les leaders de l’industrie en juin pour encourager des solutions plus transparentes et concrètes. Les marques de luxe sont attendues pour présenter des innovations et annoncer de nouveaux engagements alignés sur les objectifs de l’accord de Paris sur le climat. Le thème de cette année, « Barriers and Bridges » (Obstacles et Passerelles), mettra l’accent sur la transformation des défis en opportunités de changement réel, avec des discussions sur l’équilibre entre l’action climatique, la stabilité des entreprises et la croissance.

En outre, la mise en œuvre continue des réglementations gouvernementales en Europe, comme le Pacte vert pour l’Europe (Green Deal), qui vise à faire de l’Europe le premier continent neutre en carbone d’ici 2050, ainsi que les prochaines directives sur les textiles durables, pousseront davantage les marques à rendre des comptes. Ces pressions réglementaires façonneront l’année à venir, faisant de 2025 une période cruciale pour l’industrie.

La route à suivre

Bien que les programmes de revente et les matériaux innovants soient des avancées positives, un changement systémique plus profond est nécessaire. La mode représenterait environ 10 % des émissions mondiales de carbone, soit plus que l’industrie aéronautique. Selon le rapport 2024 de Fashion Revolution, presque toutes les 250 plus grandes marques de mode au monde échouent à réduire efficacement leurs émissions. Un chiffre alarmant de 94 % d’entre elles n’a aucun objectif public en matière d’énergie renouvelable, et seulement 3 % ont déclaré soutenir financièrement les travailleurs touchés par le changement climatique.

Les émissions de la chaîne d’approvisionnement, l’énergie renouvelable et un engagement envers la transparence complète du cycle de vie de leurs produits doivent être abordés. Une véritable durabilité nécessitera des investissements, de l’innovation et une collaboration continue à travers le secteur.

Cependant, comme le montrent ces exemples, bien que le parcours du luxe vers la durabilité soit encore à ses débuts, la montée en puissance du marché de la seconde main et le comportement éco-responsable des consommateurs annoncent un avenir prometteur, alors que de plus en plus de marques comprennent que la durabilité peut stimuler la rentabilité.

Quoi qu’il en soit, il est clair que les marques qui ne répondent pas à ces attentes en évolution risquent d’être laissées pour compte – tant sur le plan de la performance du marché que de la perception des consommateurs. La transparence et la durabilité ne sont plus des niches : elles deviennent le nouveau standard.

Conclusion

En conclusion, l’engagement envers la transparence et la durabilité est plus qu’une simple tendance passagère : c’est une transformation profonde du marché et des attentes des consommateurs. Les entreprises qui embrassent ce changement non seulement renforcent leur image de marque, mais se positionnent également comme des leaders.